Deuxième tentative

Retour en Belgique, et c'est l'emploi des grands moyens : homéopathie, allopathie, cataplasme à l'argile.

Ensuite kinésithérapie.

La reprise du boulot est l'occasion de voir certains collègues sympa compatir à mes malheurs. Le directeur, par exemple, qui doit partir en randonnée en montagne quelques jours plus tard et qui a tout minutieusement préparé, se dit que si ça lui arrivait...
D'autres tentent un laconique : "C'est rien, tu feras le Mont-Blanc l'année prochaine" (n'ont visiblement pas compris que c'est cette année, et pas une autre). <<L'année prochaine, s'exclame ma collègue de bureau ? Pas question de le supporter encore comme ça pendant un an !!!>>... Mais c'est pour rire, car elle me connaît bien et comprend à quel point je suis dépité!

Les jours passent, et les progrès sont rapides et encourageants. Fin juillet, on commence à penser qu'un retour en Suisse le 10 août est envisageable. Evidemment, si près de la date, trouver un logement est plus compliqué. Nous trouverons finalement notre bonheur grâce à notre agence de location habituelle (l'agence Germann) qui fit tout pour trouver un arrangement correct.

Reste la question du guide. La semaine du 16 août, pour Claude Melly cela n'allait pas. Pas question de s'éloigner pendant deux jours : sa femme Nadège doit accoucher incessamment, et ce n'est pas moi (qui ai trois enfants) qui vais lui dire que sa présence n'est pas importante. Pour comble de malchance, cela ne va pas non plus pour son frère Thierry, ni pour son père Gabriel.

De toute façon, je ne pouvais pas me permettre de réserver une date formellement. Il semblait impératif de refaire une course en altitude au préalable pour tester la cheville. Après avoir téléphoné à deux ou trois guides, un peu au hasard, je me décide à appeler le bureau des guides, en expliquant mon projet. Un guide est libre pour les deux jours qui m'intéressent (le mardi 17 et le mercredi 18 août). Il s'agit de Vincent Theler, un guide de la nouvelle génération. Ce nom me dit vaguement quelque chose, et je comprendrai plus tard pourquoi. Je le contacte en expliquant mes déboires : il me confirme que pour la face de l'Aiguille de Bionnassay, il faut oublier : les conditions ne sont plus bonnes. Il m'explique alors une autre idée : puisque le téléphérique de l'aiguille du Midi est en panne, le mieux serait d'arriver par la pointe Helbronner depuis l'Italie. Il me propose - sous réserve de conditions à vérifier- de monter au Mont Maudit via l'arête Küffner, et du sommet du Mont Maudit, rallier le sommet du Mont Blanc.

Aïe : imprévu. Je ne connais pas cet itinéraire, car je ne m'étais pas documenté là-dessus. Un petit coup de téléphone à mes parents - toujours en Belgique, mais qui arrivent à Zinal dans 2 jours- me permettra d'obtenir un peu d'info via quelques pages glanées sur internet et imprimées juste avant de partir.

Pour tirer un trait sur l'échec du Bishorn en juillet, je décide d'y retourner avec François. Je finis aussi par céder aux conseils de Fabienne, et m'achète une nouvelle paire de chaussures. Elles sont plus confortables et assurent un bon maintien de la cheville. Pour cette fois, c'est important.

Le vendredi 13 août (ne soyons pas superstitieux), montée depuis Zinal, en faisant un détour par le "sentier des Arolles" : sentier peu fréquenté, probablement dû à sa raideur, mais bien beau. Un petit coup de téléphone portable à une collègue au boulot qui me confirme la météo grâce à internet. C'est beau la technique!

Arrivés à la cabane Tracuit vers 17 h 30, cette fois c'est l'affluence. Juste le temps de donner nos raviolis à réchauffer, et on passe à table.

Après cela, on va s'étendre un peu. Cependant, un ou deux gugusses ayant oublié leur téléphone portable dans le dortoir, ça sonne quelques fois.

"C'est hallucinant", s'exclamera un Français à qui l'on a assigné la couchette voisine des nôtres. Flûte. Ras-le-bol. Je cherche le téléphone et finis par le trouver sous des couvertures. Coup de chance, c'est le même que le mien : les menus sont en italien, mais je n'ai qu'à répéter une séquence que je connais bien pour le rendre silencieux. Ouf.

La soirée se passera sans problème, et c'est avec joie que nous bavarderons quelques minutes avec Claude Melly (encore lui) qui emmène une course collective le lendemain au Bishorn. On lui fera également part du projet que nous avions Fabienne et moi: payer une course de rocher à François "pour lui tout seul". Les "Couronnes de Bréona" semblent un bon choix pour un débutant en rocher.

On a un peu de mal à s'endormir. Depuis le dortoir, on entend Claude qui "met de l'ambiance" dans la cuisine. Il est là chez lui : c'est son cousin David qui est le gardien de la cabane.

"4 h 30... Bishorn... Ceux qui vont au Bishorn". C'est le gardien qui vient nous réveiller. A ces mots, mon voisin Français s'étonne : "Bis-horn ?", on dit "Bich-horn, non ?". Celui-là, il est doué : il vient d'entendre la prononciation correcte par un autochtone et croit que c'est lui le Français qui sait mieux... Incorrigible ! ! !

    Cette erreur est fréquente. On entend souvent des gens prononcer "Bichorn" au lieu de "Bishorn" (ou le "s" se prononce comme dans "salade"). Les autochtones prononçant tous avec "s", c'est bien comme ça qu'il faut dire!

Bizarre qu'on nous réveille si tôt. D'ailleurs tout le monde traînasse dans la grande salle après avoir mangé.

On met le nez dehors ... C'est pas vrai, ça recommence : c'est tout couvert !

Heureusement, cette fois ça se dégage, et la montée s'effectue sans problème, même s'il y a de nouveau beaucoup de vent, très froid.

Enfin, "sans problème", c'est une façon de parler. Les clients de la course collective marchent sur ma corde -sans faire attention- et avec leur crampons. Et pas seulement une fois! ! !

Claude Melly et son collègue (Raphy, je pense) ont bien du mal à imprimer un rythme à ces amateurs et, bien que mon fils et moi marchions un tout petit peu plus lentement, on les rattrappe à plusieurs reprises, vu les nombreux arrêts qu'ils imposent aux guides.

Le vent souffle violemment au sommet où tout le monde décampe après 1 minute. Je filme néanmoins un peu François : on voit ses habits qui claquent dans le vent et c'est impressionnant. "C'est l'Himalaya" dira sa maman en regardant la video. Je prends une photo :



puis on descend 20 mètres pour se mettre à l'abri :


Après un quart d'heure, on est bien réchauffé et on redescend.

La neige est bien dure : un léger mal aux genoux se fait sentir. En réduisant un peu l'allure, tout se passe bien.

A la descente, le rythme est moins important qu'à la montée : je me permets quelques poses pour filmer des crevasses béantes!

Après le retour à la cabane, descente vers Zinal. Dans ma tête tout est clair : c'est tout bon. Il n'y a plus qu'à téléphoner au guide pour confirmer pour mardi et mercredi.

Ce que je fait à mon arrivée à Zinal, en laissant un petit message à Vincent Theler. J'ai quelques doutes quant à ma capacité à gravir "facilement" l'arête Küffner. La question ne se posera finalement pas. Vincent me rappelle en m'expliquant que les conditions ne sont plus bonnes sur l'arête Küffner non plus. Nous allons donc nous recentrer sur une voie classique : Refuge des cosmiques - Mont Blanc du Tacul - Mont Maudit - Mont Blanc. Retour par le même itinéraire.

Samedi soir et dimanche soir : examen attentif de la météo au téléjournal. Il semble de plus en plus probable qu'il fera beau le mercredi, mais que de faibles précipitations auront encore lieu mardi matin. Pas génial. Par contre, je suis agréablement surpris : la course au Bishorn, dans mes nouvelles chaussures, a accéléré le dégonflement de ma cheville.

Lundi soir, dernier coup de téléphone à Vincent Theler. Ca semble OK pour le lendemain. Rendez-vous est fixé à Veyras, chez lui, à neuf heures le lendemain.

Départ donc de Zinal le mardi matin vers 8 h 15, pour Veyras. Je trouve sans problème la maison, d'autant qu'un 4*4 est garé devant avec une incription peinte sur celui-ci: "www.yourguide.ch" ! Je comprends maintenant pourquoi le nom de Vincent Theler me disait quelque chose : j'ai parcouru son site dans ma quête de renseignements en tous genres quand j'étais en Belgique.

On fait rapidement connaissance, on charge la voiture et en route direction Chamonix.

Vincent me signale d'emblée que pour monter à l'Aiguille du Midi, via la pointe Helbronner, ça n'ira peut-être pas. On a annoncé du foehn à la météo. De fait, il téléphone à la station de téléphérique qui confirme qu'il y a trop de vent. Il m'explique que la meilleure solution va être de prendre le train à crémaillère jusqu'au Montenvers. De là, une courte marche de moins de deux heures nous amènerait à la station de téléphérique intermédiaire de l'aiguille du Midi.

Ca évolue mal : plus on roule vers Chamonix, plus il pleut ! S'il faut marcher deux heures là-dessous, sans protection pluie, ça ne va pas être drôle.

On arrive vers 11 heures à Chamonix, et on fonce à la Maison de la Montagne : on peut y voir des infos sur la météo. Elles confirment ce que l'on pressentait : les prévisions relativement optimistes de la veille ne sont plus correctes. Le temps est à présent complètement instable. L'isotherme est à moins de 3000m. Donc, même si l'on supporte la pluie, et même si le mercredi il ne neige plus, il y aura beaucoup trop de neige fraiche.

A ma grande déception, le guide décide que l'ascension ne peut se faire dans de bonnes conditions.

C'est facile pour lui : il a déjà fait le Mont Blanc, il le fera encore, et a des rendez-vous pour d'autres courses pour tous les jours suivants... Un contretemps pour lui, un drame pour moi : que faire ?

On reprend tristement la voiture pour rentrer en Suisse. Je roule machinalement, en me disant que je ne pourrai plus rien tenter avant septembre. En effet, impossible de prolonger les vacances de quelques jours : Fabienne et moi devont absolument reprendre le travail le lundi.

Je dépose Vincent chez lui, note ses disponibilités pour septembre, et repars à Zinal, le moral à zéro.

Le lendemain, comme prévu par météosuisse, il fait beau. Les Webcams montrent du beau temps sur Chamonix également. Une idée se forme : foncer vers Chamonix, essayer d'avoir un guide Français (et qui sera d'accord de partir avec un inconnu, sans test préalable) et faire la course Jeudi-Vendredi, ou Vendredi-Samedi.

On se rend compte que ça ne va pas être simple : si c'est le Samedi, ça va nettement compliquer le retour (on doit quitter l'appartement pour le samedi 10h).

Le temps d'obtenir une baby-sitter au pied levé (c'est évidemment pratique d'avoir ses parents pas trop loin, merci à eux), et on repart vers Chamonix en laissant nos deux plus jeunes enfants à ma maman.

Arrivée à la Maison de la Montagne vers 18 h 30 ! Quelle cohue. On fait la queue au guichet et quand c'est enfin notre tour, réponse super-sympatique : <<Pour le Mont-Blanc ? Là vous tombez mal ! Pour l'instant, c'est le "tour de rôle", et la personne qui centralise tout pour le Mont Blanc est occupée. Repassez plutôt demain, ou téléphonez!>>

Téléphonez ? Qu'est-ce qu'elle me raconte celle-ci ? J'ai essayé de téléphoner quand j'étais encore en Belgique, à cette fichue Maison de la Montagne. Quand ça ne sonnait pas "occupé", j'arrivais sur un répondeur! J'explique patiemment que je viens de faire 2 heures de route... On me conseille d'attendre une vingtaine de minutes. La personne qui centralise aura peut-être un peu de temps à 18 h 55... mais termine à 19 heures.

Pffff, quelle bande de fonctionnaires, assis sur leur quasi monopole ! (Ils se passeront bien d'un lien vers leur site dans cette page ! Voilà !)

19 heures, on n'a vu personne. Je me souviens alors que j'ai lu sur internet qu'il y avait un autre bureau des guides. Le temps de se renseigner à l'office du tourisme pour savoir comment s'y rendre, et on y court. On arrive à l'AIGMB (c'est son nom) qui ferme à 19 heures, mais comme la porte est encore ouverte, on entre!

Quelle différence, quel contraste avec la Maison de la Montagne. Petit bureau sympatique, mais vide. Quelques minutes plus tard, un guide entre : "Bonjour, je peux vous aider ?". Ben oui ! Mais on ne veut pas vous prendre trop de temps puisque le bureau devrait être fermé ! "Mais non, mais non. On est là pour ça !"

J'explique un peu tout : le projet initial par la face Nord de l'Aiguille de Bionnassay, l'entorse, la météo...

Discussion très intéressante : certes, la face Nord n'est plus en condition, mais par l'arête SW (depuis le refuge Durier), c'est tout bon. En tout cas, ça l'était quelques jours plus tôt, et ça devrait le redevenir, dès que la neige se sera un peu tassée. Le guide explique aussi que si je veux faire le Mont Blanc à tout prix tout de suite, la seule voie possible est la voie normale (où ça passe toujours, vu le monde qui fait la trace), samedi-dimanche. Eventuellement vendredi-samedi "si je suis joueur", pariant que les intempéries annoncées jusque vendredi vont cesser un peu plus tôt que prévu. Joueur, moi ? Pas question, ça fait 6 semaines que j'ai la poisse.

Cette discussion m'a calmé : je renonce à essayer de monter à tout prix dans les trois jours à venir. Le guide a été clair : pour un projet comme le mien, il faut quatre jours de beau temps consécutifs (les deux premiers pendant lesquels il ne neige pas, et les deux suivants pour faire la course).

On termine les vacances à Zinal. François aura l'occasion de faire sa course (Les Couronnes de Bréona) avec Claude Melly le samedi matin et en reviendra enchanté. C'est de bon augure pour les années à venir.

On rentre en Belgique le samedi soir, avec cette décision : je tenterai un aller-retour le plus vite possible, si je vois quatre ou cinq jours de "grand-beau" avec un indice de fiabilité élevé.

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