C'est la bonne

(Si vous êtes arrivé directement sur cette page sans lire le début du récit, certains détails (choix du guide, lieu de séjour, ...) sembleront étranges. Cliquez-ici pour aller au début du récit.)

Reprise du boulot dès le lundi. Mes collègues viennent à nouveau aux nouvelles. "Alors, ça y est, tu l'as fait ?"

Pfff, mais non. Et d'ailleurs j'avais dit que j'enverrais un sms quand je serais en haut, donc...

Très vite, les prévisions météo s'annoncent bonnes. Je me remets à espérer : si ça pouvait être bon à partir du WE et les deux jours qui suivent, je pourrais repartir et serais à peine désacclimaté.

    L'acclimatation est le fait de séjours en altitude : l'organisme "détecte" la raréfaction de l'air, et compense en augmentant le taux de globules rouges. Après environ trois semaines en altitude, l'acclimatation est bonne.

    Il faut ensuite trois semaines à l'organisme pour ramener le taux de globules rouges à son ancienne valeur lorsqu'on revient à basse altitude.En restant trop longtemps en Belgique, j'aurais diminué mes chances. Une mauvaise acclimatation induit des maux de têtes, des vomissements, une grande difficulté à reprendre son souffle dès qu'on arrive à des altitudes "intéressantes" (3500-4000m)

La semaine avance et ça se confirme. Je téléphone à Claude Melly... qui me dit que dimanche-lundi, ou lundi-mardi, il est libre. Eh oui : il est maintenant papa pour la deuxième fois car sa femme Nadège a accouché d'un petit Noé quelques jours plus tôt. En fait, après la course aux Couronnes de Bréona avec François, il était remonté à la cabane Tracuit pour faire une course le dimanche... et a dû redescendre en courant à minuit.

Je m'étonne un peu qu'il soit déjà prêt à repartir, mais bon : ça m'arrange. Après hésitation, on convient de faire la course lundi-mardi, car on annonce encore un temps un peu couvert pour lundi, sans précipitations.

Le samedi matin, je prend la route vers le Val d'Anniviers. J'ai réservé une chambre dans un hôtel pas trop cher à Ayer. Celui-ci se révélera très bien (Hôtel Rothorn).

Arrivée à Ayer en fin d'après midi, je passe chez Claude avant d'aller à l'hôtel.

Nouvelle tuile : Noé est très difficile la nuit, et Claude aimerait autant rester près de sa femme. (Ben oui, je me disais aussi...) Il m'aide à trouver un autre guide en m'assurant que si je ne trouve personne, il ne me laissera pas tomber. Il a déjà vérifié chez Vincent Theler, mais de ce côté là, pas possible. Il est déjà pris. Je tente une demande à l'AIGMB : un peu tard me dit-on pour avoir une certitude de trouver un guide pour le surlendemain. Bigre. Claude contacte le bureau des guides d'Anniviers. Ils ont un système qui envoie un sms à tous les guides en activité. Le premier qui répond, c'est pour lui !

J'ai cru comprendre que dans ce cas-ci, le bureau savait qu'un guide (inconnu pour moi) était disponible. Il s'agit de Romain Tavelli.

Soulagement pour Claude, qui le connaît bien et m'assure que c'est une chance car c'est un bon, et très gentil. Très grand soulagement aussi pour Nadège qui ne devra pas rester seule pendant deux jours.

Contacter Romain se révélera difficile : le dimanche soir, il revient de course et m'explique que la batterie de son portable était déchargée. Dans l'intervalle, j'ai déjà téléphoné au refuge Durier pour réserver deux places pour lundi soir. Le gardien du refuge est très gentil au téléphone. Il me confirme que les conditions sont bonnes, que la trace est faite et que le refuge est plein ce dimanche soir.. Des alpinistes vont faire exactement l'itinéraire que je projette, et ça renforce ma confiance. J'explique tout cela à Romain. Il me semble un peu hésitant, mais après avoir téléphoné lui même au refuge, il est convaincu que c'est bon. Rendez-vous est fixé au bas du val d'Anniviers le lundi matin à 6 heures 30.

C'est donc là que je fais sa connaissance. Il a l'air nettement sympathique, et me propose d'emblée que l'on parte avec nos deux voitures jusqu'à Martigny, puisque je compte rentrer en Belgique dès le mardi soir - si tout a bien marché. En route, nous dépasserons le 4*4 de Vincent Theler. Le monde est petit !

A Martigny, Romain laissera sa voiture. Direction Chamonix, via le Col de la Forclaz.

Cette fois le temps est beau. Nous arrivons vers 8 heures au pied du téléphérique de Bellevue, aux Houches. Marrant : je trouve son sac à dos bien peu rempli (a-t-il bien tout ?). Lui trouve que le mien est bien gros. Pourtant, je pense qu'il n'y a rien en trop (pour ceux qui projettent une course similaire, n'hésitez pas à consulter ma checklist). En définitive, à part le sur-pantalon et la paire de gants de secours, tout servira ! Romain me dira plus tard que s'il avait vu que j'emportais une caméra, il m'en aurait dissuadé. Heuuu : il aurait toujours pu essayer !

A l'arrivée du téléphérique de Bellevue, on prend la direction du Col de Tricot. Le temps est frais, il y a quelques nuages et c'est tant mieux : cela nous évite de mourir de chaud.
    Au col, courte pause, le temps de régler un ou deux problèmes professionnels par gsm. Peu après en effet, la réception ne sera plus possible pendant plus de trois heures. Ces problèmes réglés, on se remet en route, direction le refuge du Plan Glacier. Bien qu'à peine mentionné sur les cartes, il y a un très bon chemin -sécurisé par des cables- qui permet de rejoindre ce refuge sans redescendre jusqu'aux chalets de Miage.
Nous faisons halte au refuge vers 12 h 15, le temps de se restaurer et de se vêtir un peu plus : dans quelques minutes, nous traverserons le glacier de Miage, et mieux vaut ne plus être en short.

Courte descente vers le glacier où l'on s'encorde. Traversée sans histoire, et on attaque ensuite un éperon rocheux qui conduit au refuge Durier. Cette partie de la marche est pénible : tout bouge, rien ne tient. En contrepartie, vu les éboulements plus ou moins réguliers, il y a du granite fraîchement découvert. Nous trouverons beaucoup de petits cristaux de quartz, et j'en remplis mes poches : souvenirs pour mes enfants.

Nous atteignons le refuge Durier avant 16 heures.

Le gardien est vraiment très sympathique : il s'agit d'Olivier Cayuela. Ce type est extraordinaire : gentil, bon cuisinier... Dans le livre du refuge, tout le monde est unanime là-dessus. J'aurais dû prendre des notes pour reporter ces témoignages dans ces pages.

C'est la fin de la saison : les vivres sont presques épuisés. Nous avons le choix entre spaghettis à la carbonara et... spaghettis à la carbonara !

Soirée super : nous ne sommes que trois. Nous la passons à discuter itinéraire, record de vitesse au Mont Blanc. Celui-ci est détenu par un suisse (P.A Gobet) qui a fait l'aller retour (depuis Chamonix) en 5 h 10. On entend la météo à la radio. Celle-ci confirme le beau temps pour le lendemain, avec cependant une mer de nuage vers 3000 mètres.

Coucher vers 21 h 00. Il est grand temps de se reposer...

Le réveil se fait à 3 h 30. Petit déjeuner vite expédié. Ensuite on s'équipe. J'hésite un peu mais Romain me conseille de mettre tout ce que j'ai comme habits.

4 h 15 : on salue Olivier, et on attaque l'ascension de l'Aiguille de Bionnassay. Le froid n'est pas trop vif. On distingue la mer de nuages dans la pénombre mais malheureusement, au dessus de nous ce n'est pas dégagé. On progresse donc à la lampe frontale. C'est rageant : c'est la pleine lune, et on ne la voit pas.

Le rythme est bon, et nous arrivons rapidement à la partie rocheuse. Techniquement "facile" (c'est du III sup, à tout casser), cette partie va quand même me compliquer la vie, et ce pour trois raisons : le rocher est verglacé et on garde les crampons (première fois que je fais du rocher avec des crampons). Deuxièmement, il fait toujours noir, et on grimpe à la lumière de la lampe frontale (mais où sont les prises ???). Et trois : mon sac est lourd pour ce genre d'acrobaties. Et puis, il faut bien l'avouer, je ne suis plus assez entraîné pour la varappe. La crampe menace ma jambe droite depuis plus d'une heure.

Le pas délicat exigera que je m'y reprenne à deux fois. La première fois, je cafouille et Romain veut me tirer "en force". Pas question. Je veux grimper par moi même. Autrement, on pourrait carrément mettre un treuil pour me hisser jusqu'en haut. Je lui crie que je redescends et que je recommence.

C'est encore un peu limite, mais cette fois ça passe. Cependant l'effort a été violent... Les difficultés s'amenuisent, et nous arrivons à un "plat" de quelques mètres. Je ne me sens pas bien du tout. Un peu mal à la tête, difficile de contrôler ma respiration, et depuis l'effort : des nausées. Malheur de malheur : si c'est le mal des montagnes, c'est pas gagné. Quelques instant plus tard, je "restitue mon déjeuner".

Finalement, ça ira beaucoup mieux. Est-ce le café au lait du matin qui me restait sur l'estomac, où simplement l'effort violent? Peu importe mais après, tout ira bien.

La partie rocheuse est complètement terminée et sur la neige, je n'ai aucune peine à prendre un rythme correct et à le maintenir. Nous repartons donc pour la fin de l'ascension de l'Aiguille.

7 h 15 : nous sommes au sommet. Les photos, ça sera pour un autre jour : le vent soufle fort et on ne peut pas rester en haut. On attaque immédiatement la descente vers le col de Bionnassay. C'est un parcours très aérien, avec un abîme à gauche vers la France, et à droite vers l'Italie. Chaque pas doit être "pensé" ! Pas question de regarder le paysage : on regarde ses pieds.

Les conditions sont excellentes et nous progressons rapidement : en 30 minutes, nous atteignons le col (1km de marche environ, pour 164 m de descente).

Parfois, l'arête est si effilée que certains passent "à califourchon". (Voir photo sur autre site).

Au col, Romain demande si je souhaite une pose, mais je décline la proposition. S'arrêter juste avant une montée : très peu pour moi. Nous ferons halte un peu plus haut, à 4002m au Piton des Italiens

Enfin quelques photos :


Après une dizaine de minutes, nous repartons et gagnons sans problème le Dôme du Goûter. Un peu avant 10 heures, nous le laissons sur notre gauche et poursuivons vers le refuge Vallot.

C'est maintenant la montée finale pour la fameuse arête des Bosses. C'est la première fois que je suis si haut, et ce n'est pas fini...

Il est environ 10 h 30 et la première bosse est franchie (4513m). Puis c'est la seconde. Nous croisons encore quelques cordées qui redescendent. J'espère ne pas avoir l'air ridicule pour ma vitesse qui me paraît bien lente.

Par mes lectures, je sais que cette arête laisse penser à plus d'une reprise que le sommet est là... Et puis, en haut de la bosse que l'on croyait être le sommet, il y a une nouvelle montée. L'émotion me prend car je sais que c'est gagné et que plus rien ne m'empêchera d'arriver dans quelques instants...

Une dernière pente, plus douce, et c'est le sommet.

Il est 11 heures 45. L'Europe est sous mes pieds. Au dessus de la mer de nuages, le regard porte à des centaines de kilomètres.

J'attrape mon GSM dans mon sac à dos. Fabienne doit être la première à savoir. Mais quand j'entend sa voix, je ne trouve pas mes mots. Tout autour de moi est trop beau.
Brève description. Impossible de parler longtemps : le froid diminue trop la capacité des batteries.

Ensuite une série de SMS avec ses seuls mots "4810 vaincu. Enfin.". Je sens le GSM vibrer car tous me renvoient des félicitations et des conseils de prudence pour la descente. La caméra est remise en action.

Si vous avez une liaison internet rapide et un navigateur configuré correctement pour utiliser Quicktime, visualiser le slideshow en plein écran : .
Dans le cas contraire : voici les photos prises au sommet.

Ensuite, il faut bien songer à descendre. J'avais senti la veille que Romain Tavelli était sceptique quant au fait de descendre vers l'aiguille du Midi. Cependant, l'horaire correct que nous avons tenu en montant a dû le rendre confiant. J'enlèverais bien une chaussure pour regarder pourquoi j'ai si mal au pied malgré les compeeds, mais je comprends qu'avec le froid, c'est impensable. Tant pis : il faudra supporter! A 12 h 10, nous entamons donc la descente vers le Col de la Brenva, via le Mur de la Côte.

Pfff : Le "Mur de la Côte", même en descente, porte bien son nom : quelle déclinaison ! J'ai une pensée pour ceux qui sont montés par là.

Nous arrivons au Col de la Brenva (4303m) vers 12h45. Comme toujours dans les cols, le vent souffle fort et nous poursuivons sans attendre en direction de l'épaule du Mont Maudit. A 13 h 25 nous sommes au dessus de la fameuse rimaye (4345m) du Mont Maudit. C'est un endroit très raide, "sécurisé" par des cordes fixes. Très chouette passage où je descends trois petites longueurs en "rappel". Pas tout à fait en rappel en fait, car la corde est trop courte pour être mise à double. Romain descendra donc en marche arrière quand je suis assuré au relais.

Vient ensuite une descente assez raide sur un glacier ou j'hésite un peu (l'accident mortel survenu en juillet, c'était là. Difficile de penser à autre chose qu'à ces plaques à vent, mais comme dit Romain : "Aller vite ou lentement, ici, pour les plaques ça ne change rien. Alors autant aller vite... De toute façon ça ne craint rien".

Hum, hum : en bas, je l'entendrai quand même dire à quelqu'un que c'était un peu risqué !
Nous arrivons enfin au Col Maudit (4035m) vers 14 h 10. Ici peu de vent, et c'est l'occasion d'une petite pause ravitaillement. Depuis le matin, on se contentait de pruneaux, raisins secs, dextro-energy. Dire que je porte un kilo de tartines. Chouette : Romain à faim. Ca m'arrange (pour le poids). Je constate au passage que mon estomac n'est toujours pas au mieux de sa forme : j'arrive tout juste à avaler deux bouchées.

C'est aussi l'occasion d'un petit cliché de ce fameux passage bien raide où nous étions une bonne demi heure plus tôt :

Dix minutes plus tard, nous repartons. Direction, l'épaule du Mont Blanc du Tacul (4085m). Nous y arrivons vingt minutes plus tard. A partir de là, plus que de la descente... Et on se dépêche, car vu la panne de téléphérique de l'Aiguille du Midi, on voudrait bien redescendre par la pointe Helbronner vers l'Italie, pour regagner ensuite les Houches par le tunnel du Mont Blanc.

C'est à 15 h 20 que nous atteignons le Col du Midi, vers 3540m. A nouveau une courte pause, juste le temps d'enlever le surplus de vêtements car on commence à mourir de chaud. On voit passer les "bulles" du téléphérique de la Vallée Blanche. Au moins, il fonctionne. Nous avions de sérieux doutes, à cause du vent.

Nous nous remettons en route. Et ça remonte ! J'avais mal étudié l'itinéraire, car je croyais vraiment qu'une fois au Col du Midi, c'était plat juste qu'à l'Aiguille.

Pas du tout plat, mais j'ai encore des réserves et quand Romain me demande si ça va, je lui suggère d'accélérer : pas question de rater le dernier téléphérique.

Cependant, peu avant 16 heures, je suis bien obligé de demander que l'on ralentisse. Et c'est bien là que je me rend compte à quel point je suis vidé ! On a cru entendre un message annonçant par haut-parleurs que le dernier téléphérique partirait dans cinq minutes. Et je comprends qu'on ne l'aura pas !!! Même si ma vie en dépendait, je ne pourrais pas aller plus vite. La montée vers l'Aiguille du Midi est telle que l'on doit remettre les crampons, enlevés une demi heure plus tôt.

Chaque pas est vraiment pénible. Je me demande si la corde qui se tend, c'est pour m'aider, ou si c'est un signe d'impatience du guide.

Je ne doute pas que je vais y arriver : simplement, je ne peux pas aller plus vite.

Tout a cependant une fin, et vers 16h25, je découvre le tunnel de glace : le passage souterrain conduisant au téléphérique.

Pendant que je me déséquipe de mes crampons, baudrier, ... Romain vient m'annoncer la meilleure nouvelle que nous puissions entendre à ce moment là : le téléphérique est à nouveau en service jusque Chamonix. Trop beau pour être vrai : nous pensions que nous avions raté le dernier pour l'Italie, et pensions déjà qu'il allait falloir descendre à pied encore deux heures.

Depuis l'Aiguille du Midi, la vue sur le Mont Blanc est superbe..



Ce sera une des dernières photos correctes du jour.

Le téléphérique nous amènera en bas en quelques minutes, en traversant la mer de nuages.

Un taxi nous ramènera aux Houches, et de là, nous repartons vers Martigny. Le voyage de retour sera encore l'occasion de petits échanges intéressants, comme par exemple l'adresse du site de Romain : http://www.freemountains.ch.

Après avoir déposé Romain, je me remets en route sans attendre vers la Belgique. Je pensais m'arrêter dès que j'aurais senti la fatigue. Cependant, "speedé" par ces deux jours inoubliables, je ne sentirai pas la fatigue. Et puis, l'envie d'un bon bain chaud et d'un bon lit était grande.

Vers deux heures du matin, je suis de retour à la maison. Il y a trop à raconter pour réveiller Fabienne en pleine nuit : quelques heures plus tard, ce sera la rentrée des classes et d'autres défits intéressants attendent les parents. En ce premier septembre, ce sera seulement pour la maman car en ce qui me concerne, la fatigue me tombe dessus. L'aventure a été extraordinaire.

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